Notes prises lors de la Conférence sur la CULPABILITE par NASIO, le 07 décembre 2005
Pour Nasio, il existe deux grandes catégories de culpabilité :
- une objective : « je suis fautif devant la loi » ;
- une subjective : « je me sens fautif devant moi-même ». Celle-ci résulte d’un sentiment moral, qui naît d’une évaluation de ce qui est bien et de ce qui est mal. Ici, c’est la conscience qui juge.
La psychanalyse affirme qu’il existe une morale inconsciente, donc une conscience morale inconsciente, qui distingue comme « bien » tout ce qui contribue à aider l’être à grandir : être actif, persévérer dans son être et affirmer sa puissance. Pour la psychanalyse, le bien est ce qui nourrit la force de devenir sans cesse ce que l’on doit être. Il est en somme la jouissance canalisée par le symbolique. Le mal étant la jouissance sans borne, sans maîtrise d’elle-même, qui nie le symbolique.
La culpabilité subjective peut se définir comme étant un sentiment de nature pénible provoqué par le souvenir d’une faute dont on regrette d’avoir été l’auteur. Ce sentiment comporte trois variantes :
- le remord (douleur)
- le repentir (angoisse)
- le regret (contrariété)
Dans cette culpabilité subjective, il existe à nouveau deux formes de culpabilité : la culpabilité normale et la culpabilité pathologique.
La culpabilité normale est une vertu, une qualité humaine en tant qu’elle est susceptible de réguler efficacement les ardeurs de nos pulsions face aux obligations de la vie en société. C’est une angoisse saine et nécessaire qui nous empêche de détruire l’autre. Elle nous offre la régulation et la possibilité d’exprimer notre part de haine en nous protégeant et en protégeant l’autre.
La culpabilité pathologique est le véhicule d’un passé éternisé qui transporte une faute ignorée du sujet. Elle est au cœur de toute névrose.
On rencontre deux cas différents :
- dans le premier cas, le sujet se sent mal, il ressent la culpabilité, il se sent coupable : c’est un sentiment conscient.
- dans le deuxième cas, le sujet ne se sent pas mal, mais il agit comme s’il était coupable: c’est un sentiment inconscient. Ce sentiment inconscient de culpabilité produit une culpabilité « agie ». Elle n’est pas ressentie mais elle est en actes.
Le sujet, qui ne sent pas l’angoisse recherche néanmoins un châtiment.
Pour les deux, la faute est ignorée, c’est-à-dire que la véritable raison à l’origine de la culpabilité est toujours inconsciente.
La notion de « sentiment inconscient de culpabilité » peut surprendre, d’ailleurs Freud, qui en est l’auteur, la remettra en question. En effet, un sentiment ne peut pas être inconscient puisqu’il est, par définition, de l’ordre du ressenti, donc conscient. Cependant :
- la culpabilité est bien un sentiment, en ce sens que c’est le résultat d’un jugement qui fait éprouver le regret, le remord ou le repentir. Or le sujet ne ressent rien de tout cela. Il ne ressent ni souffrance ni angoisse, pourtant il recherche, dans ses actes, un châtiment. Ses actions montrent qu’il se vit coupable, qu’il se sait coupable, mais tout cela reste ignoré de lui-même. Dans ce cas, le châtiment est réclamé depuis l’inconscient pour une angoisse non ressentie et le sujet remplace l’angoisse par un besoin de punition, qui en est donc la conséquence. Ainsi, la culpabilité est agie dans la conscience mais n’est pas ressentie par la conscience. D’où le terme de sentiment de culpabilité inconscient.
Dans ce cas, les difficultés de la vie traduisent un besoin de châtiment qui est la conséquence d’une tension créée par le sentiment de culpabilité inconscient. Les comportements qui caractérisent cette situation sont :
- les névroses obsessionnelles
- les conduites d’échec dans la vie affective et professionnelle (« je ne mérite pas »)
- les comportements agressifs (« je me hais et je hais les autres »)
- les inhibitions physiques et sexuelles (« je ne vaux rien »)
- la dépression (« je suis triste à l’idée de perdre l’amour de moi-même, à force de me déprécier »)
- l’alcoolisme (« je bois parce que je m’ennuie, parce que je suis triste, parce que je ne m’aime pas, … »)
- aider les autres de manière compulsive
- les hypocondriaques
- les délinquants (commettre un délit pour se soulager : dans ce cas, la culpabilité est là avant le délit).
On le voit : le coupable inconscient ne se sent pas coupable, mais il agit la culpabilité, par ses comportements.
A l’origine du sentiment de culpabilité (normale ou pathologique), il y a une faute fantasmée et jamais réelle. Il s’agit même du souvenir d’une faute fantasmée et toujours ignorée.
Ainsi, la culpabilité est une émotion pénible suscitée par un fantasme inconscient : le fantasme d’avoir fauté. Il existe donc, dans notre inconscient, un fantasme moral.
Ici, Nasio propose ce qu’il appelle le 4ème fantasme originaire : le fantasme de culpabilité (rappelons les 3 fantasmes originaires énoncés par Freud : la scène primitive, la séduction, la castration).
Pour lui, ce 4ème fantasme est une histoire éternelle, un mythe, une histoire simple que nous actualisons chaque jour, qui existe en nous depuis toujours et pour toujours. Cette histoire se raconte en deux temps, ou deux tableaux :
1) Dans le premier tableau, quelqu’un tue un être cher : c’est le temps de la haine voluptueuse et sadique : soulagement et plaisir de détruire l’autre. Ce tableau comporte deux personnages : moi et l’autre. C’est le temps du meurtre originaire.
2) Dans le deuxième tableau, c’est le temps du souvenir du 1er temps. Le temps du regret : il n’y a plus qu’un personnage, moi, l’assassin, accusé d’un crime irréparable. C’est le temps de la culpabilité.
On distingue deux grands sentiments liés à la culpabilité :
- l’angoisse de culpabilité : elle est liée à la menace que le surmoi puisse retirer son amour du moi. C’est la peur de ne plus m’aimer moi-même qui m’angoisse car alors je perdrai mon unité d’être.
- la douleur de culpabilité : la perte de cet amour est effective. Le surmoi a mordu sur le moi, c’est une morsure morale, c’est le remord.
La culpabilité originaire nous concerne tous, c’est la culpabilité du meurtre du père. Elle est éternelle.
Le deuxième temps n’est pas seulement le temps de la culpabilité, c’est aussi le temps de la réparation. On la retrouve dans l’attachement à l’autre. Derrière cet attachement, il y a l’amour réparateur. Et derrière, il y a une dette. L’amour est toujours une névrose. Saine, mais une névrose. L’amour est animé par un sentiment vieux de culpabilité. Tout amour est un amour réparateur, animé par une volonté de rachat (d’une faute fantasmée).
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