La culture d’une entreprise a cette étrange qualité d’être la chose la plus partagée et la moins formalisée. A la fois le bien le plus commun à tous et celui qui n’est décrit nulle part. Curieusement, ce qui en est parfois écrit n’en constitue qu’une toute petite partie et représente souvent plus un désir de la Direction Générale ou de la Direction de la Communication qu’un vrai reflet de la réalité.
Dans ce monde qui ne se reconnaît que dans la formalisation, l’informel nous échappe alors qu’il constitue la vraie différenciation d’avec les concurrents ; et une des raisons de l’adhésion ou de la non adhésion du marché et des collaborateurs.
Ensemble des façons de penser et d'agir, ensemble de normes, de règles explicites ou implicites, système de cohésion et de cohérence, la culture est la partie immatérielle du capital de l’entreprise au même titre que la marque. Au-delà de la valorisation des actifs et des technologies, c’est elle qui constitue la valeur active réelle de l’entreprise.
Comme l’iceberg la culture se voit peu.
Mais comme pour l’iceberg, ce qui émerge est surdéterminé par tout ce qui n’est pas ou peu apparent : l'histoire, les caractéristiques du fondateur, le contexte culturel initial (professionnel ou national), les valeurs opérantes, les croyances collectives, c’est à dire un ensemble d’évidences partagées. Ce qu’on en voit en revanche sont les manières de faire, le style de l’entreprise, le climat, l'organisation, le système de règles, c’est à dire le mode opératoire culturel.
La culture est un objet stratégique
A moins d’en rester à penser que la culture d’entreprise se résumerait aux valeurs affichées par la direction dans les salles de réunion, on doit l’envisager beaucoup plus résolument comme un levier de fonctionnement, un outil de différenciation et un moyen de cohésion.
A cette condition, elle offre un surplus de performance qui résulte de la capacité de coopération ou d’émulation, du sens de l’initiative et de l’autonomie, de l’engagement personnel et de l’efficacité collective, autant d’aspects largement tributaires de la culture.
A une époque ou les mots d’ordre sont développement, prise de risque, subsidiarité, pérennité, diversité, la culture de l’entreprise, ainsi que les sous-cultures locales ou professionnelles qui la composent, deviennent des objets stratégiques de pilotage.
Des objets qui gagnent à être étudiés et, dans la mesure du possible, adaptés.
La culture, sujet de toute crise
La culture adhère au passé. Sous estimer cette adhérence c’est soit voir un état de dysfonctionnement perdurer au delà du temps nécessaire au changement, soit devoir recourir à des méthodes expéditives et donc traumatisantes pour l’avenir.
Système subtil, la culture assure la stabilité et l’équilibre de l’entreprise par de continuelles compensations. C’est la raison pour laquelle la conduite du changement est en général si difficile ou si longue. Qu’on aille trop loin dans un sens et un contre-changement se met en place de lui-même ou une opposition se crée. Qu’on mettent en place, par exemple, des process trop entachés d’une culture nationale forte et les avantages de la diversité fileront entre les doigts, en gênant certaines implantations dans le monde ou le recrutement de dirigeants locaux.
C’est pourquoi, c’est toujours la culture qui résiste au changement. C’est son rôle que de maintenir ensemble les éléments qui font l’entreprise. Elle résiste donc, par fidélité aux formes patinées par le passé (« on a toujours fait comme ça et ça a marché »), à l’agression que constitue pour elle une évolution dans laquelle elle craint de perdre son âme. Aussi, si on souhaite obtenir des résultats rapides, il devient nécessaire de se pencher sur les endroits où l’évolution rendue nécessaire fait craindre de porter atteinte à l’actif culturel de l’entreprise.
Entretenir sa forme, assouplir sa culture
Quand on a ce privilège de pouvoir comparer des cultures, on constate rapidement que certaines sont souples et ouvertes alors que d’autres sont rigides, fermées ou trop centrées sur un seul aspect de l’entreprise (leader, production de niche, etc.). En revanche on mesure toutes les adaptations continuelles que doit faire faire une entreprise à sa culture quand elle est en croissance. La mondialisation actuelle en donne des exemples chaque jour. On mesure comment des entreprises comme Renault, Thalès, Danone sont poussées continuellement à assouplir leur culture pour passer d’un stade dépassé à un autre, plus actuel.
Cependant, à la fois, ces entreprises changent et demeurent. En fait tout se passe comme si les spécificités culturelles persistaient mais en s’ouvrant. Renault qui dit avoir appris de Nissan le bien fondé d’un fonctionnement par process rigoureux accepte d’y entrer à condition de pouvoir se dire que ces process doivent rester assez souples pour pouvoir changer chaque jour si il le fallait. Oui au process, non à la rigidification. C’est à dire que les process eux-mêmes, maintenant acceptés, doivent pouvoir être continuellement remis en question et remplacés par d’autres, mieux adaptés.
La culture est un construit si complexe et tellement en rapport avec la performance globale que l’on peut se demander si elle ne mériterait pas un poste corporate de vice-président ! Qui, dans l’entreprise, mesure et anticipe les effets de la stratégie sur les hommes, de l’actionnariat sur l’organisation ou le climat, de certaines évolutions sur le niveau d’engagement des collaborateurs ? Qui prend soin dans une fusion ou un rachat de ne pas laisser perdre l’actif culturel de l’entreprise rachetée, évitant ainsi de la voir vidée de sa substance au bout de deux à trois ans ? Qui mesure les évolutions et les formes de la culture, anticipe les conflits entre le système d’ordre (façon habituelle de la culture pour maintenir son équilibre) et de nouvelles règles, mal comprises. Qui stimule ou facilite l’assouplissement, l’élargissement de la culture et pilote les changements d’attitudes qui, seuls, conduisent à des changements rapides de comportements ou de pratiques ?
Olivier Devillard
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