Entreprise X (secteur de la finance)
Hall majestueux. L’individu est
d’emblée écrasé par le lieu, qui n’est pas un lieu fait pour se sentir à
l’aise. Lorsque l’on s’assied dans les canapés disposés au centre de ce grand
espace dallé de marbre rose, on se sent petit. Il y a des œuvres d’art.
Une hôtesse d’accueil vous
conduit vers une salle de réunion. Pour cela, il faut emprunter un long, très
long couloir étroit et très haut. Tout le long de ce couloir, il y a des portes
closes, beaucoup de portes, grises, très hautes aussi et numérotées comme des
chambres d’hôtel. C’est théâtral, sombre et énigmatique. Rien n’est fait pour
l’humain, ici, on sent que c’est l’entreprise qui compte. Les individus sont là
pour la servir. C’est elle la star, la valeur la plus haute. Les gens, eux,
passent, comme dans les administrations d’état. On est complètement dominé par
l’institution, on est vraiment impressionné par la place qu’elle prend. Ce qui
exsude c’est le sérieux, voire le grave et aussi une atmosphère quasi
religieuse.
Derrière les portes, il y a des
salons de réunion dont la décoration est très chic, avec une lumière tamisée,
des murs aux peintures foncées, des boiseries luxueuses. Et le silence. Les
hôtesses se déplacent à pas feutrés, les voilages laissent filtrer de la rue
une lumière sépulcrale.
Le coach est invité à patienter
et il s’assied dans le salon. On n’entend pas le bruit du travail. Dans ce
lieu, l’être humain n’est pas fait pour s’exprimer, encore moins pour exulter,
à peine pour vivre. Vivre, mais en silence, en efficience et au service de la
finance.
Une femme, très belle, grande,
entre dans la salle de réunion cinq minutes plus tard. C’est elle que le coach
doit rencontrer. Il note qu’elle a les traits tirés par le stress, qu’elle se
tient légèrement voûtée et que son regard est suspicieux. Elle expose sa
demande. Elle explique au coach son métier : « Les analystes, ce sont
eux les dieux !» dit-elle. Le côté religieux se confirme.
Récemment promue responsable
d’une équipe, cette femme d’une quarantaine d’année fait la liste de ses
problèmes :
- Gérer
la pression et ne pas la transmettre à ses N-1
- Apprendre
à se valoriser en interne, à être plus visible
- Arriver
à paraître plus sérieuse
- Changer
sa façon d’être
Le coach s’étonne de cette
dernière demande. Elle ajoute qu’« on » lui reproche d’être
« fofolle », qu’elle fait du bruit. C’est vrai, elle aime bouger,
balancer ses grands bras, faire des grands pas, parler, séduire !… Elle ne
passe pas inaperçue.
En soi, être grande, exubérante,
avenante, n’est pas une tare. Mais cela le devient dans cette entreprise où
l’homme a une place réduite. De toute évidence, cette personne cherche
l’attitude qui conviendra à la culture et vit comme un problème sa personnalité
naturelle, ce qui la rend triste et tendue. Depuis qu’elle est là, elle se
contorsionne pour entrer dans le cadre culturel, mais elle a du psoriasis, elle
est voûtée et son grand corps n’est pas d’accord. Elle ressent qu’il faut changer
quelque chose, c’est là qu’elle appelle le coach. Le plus terrible est sans
doute de vouloir changer « sa façon d’être ».
Dans la pub, cette personne
n’aurait peut-être pas eu ce problème-là. Comment faire entrer une fofolle dans
ce qui représente pour elle un carcan culturel ? Comment s’y prend-on , dans
cette entreprise, pour être visible tout en restant inaperçu ? Le coach écoute et se pose ce
genre de questions tandis que la femme en face de lui tripote son téléphone
portable.
Il y a un lien entre la culture d’entreprise et la problématique du
coaché.
C’est à la rencontre des deux, à
l’endroit du frottement, que se manifeste l’inconfort. Lorsque la personne se
cogne au cadre.
Deux relations avec l’inconfort
sont alors possibles :
- « C’est
un défi »
- « C’est
un problème »
Si c’est un problème, le coaché a
alors à nouveau deux points de vue possibles :
- C’est
l’entreprise qui est un problème (« mon patron est un con, le président
est incompétent »)
- C’est
lui-même qui est un problème (« je suis trop comme ceci, pas assez comme
cela »)
Or le frottement entre l’individu
et la culture, dans un rapport sain, n’est pas tant un inconfort qu’une
nécessité vitale pour les deux. Il apporte à l’entreprise et à la personne les
mêmes bénéfices :
- Il
augmente leur créativité
- Il
renouvelle leur énergie.
L’inconfort, lui, est toujours
suspect. Le coaching pourrait porter sur la recherche de l’attitude juste.
Quelle est l’attitude qui sera
une attitude de liberté, ressourcement pour la culture et la personne ? Comment
accompagner cette femme pour faire que du frottement jaillisse un lien vivant
et non pas nécrosant ? Comment faire que cette rencontre, entre
l’entreprise et la personne soit stimulante et non pas culpabilisante ?
Comment remettre l’une et l’autre dans le flux d’un échange écologique ?
Comment la fofolle peut-elle aussi vivifier cette culture et qu’a-t-elle,
elle-même à en apprendre ?
Voilà ce que le coach commence à
élaborer. Cela l’intéresse. Il visualise les progrès possibles, la joie pour la
coachée de trouver des chemins nouveaux pour laisser passer les énergies
bloquées… Il se dit qu’il aimerait bien accompagner la grande femme dans cette
recherche.
Isabelle André
Les commentaires récents